En 1959, Jean-Luc Godard, jeune cinéaste audacieux, s'apprête à bouleverser le cinéma français avec À bout de souffle. Mais pour cela, il doit convaincre le producteur Georges de Beauregard de financer ce projet risqué. C'est l'histoire de cette rencontre, de ces tensions créatives et de cette aventure humaine que raconte Nouvelle Vague, le film de Richard Linklater.
Bruno Dreyfürst est un acteur franco-allemand issu du théâtre. Il tourne régulièrement pour la télévision et apparaît ponctuellement au cinéma. Dans Nouvelle Vague de Richard Linklater, il incarne le producteur légendaire Georges de Beauregard. Son jeu tout en finesse a été salué par la critique comme contrepoint émotionnel d’un film tumultueux.
Interview avec Bruno Dreyfürst (Georges de Beauregard dans Nouvelle Vague, le film en compétition de Richard Linklater à Cannes en 2025)
Au printemps 2024, Bruno Dreyfürst a été choisi pour l’un des rôles secondaires majeurs du film Nouvelle Vague, réalisé par Richard Linklater. Le film a été présenté en avant-première dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2025, suscitant un grand intérêt international. Dreyfürst y incarne Georges de Beauregard, « Beau-Beau », le producteur d‘A bout de souffle, qui deviendra le producteur emblématique de la Nouvelle Vague.
Cet entretien peut être cité librement à des fins journalistiques avec mention de la source: Bruno Dreyfürst.
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Comment s’est passé ton casting pour Nouvelle Vague ?
Ca a été toute une aventure. Tout d’abord j’ai failli passer totalement à côté. Je reçois via mon agent (David Vatinet) une proposition de casting pour le rôle de Jean-Pierre Melville dans le prochain film de Richard Linklater. Avec ce mail une photo de Melville. Pas sûr de coller vraiment question ressemblance, mais bon je me dis qu’au final si on me propose c’est qu’ils doivent se dire que c’est jouable. La demande est de parler d’une oeuvre musicale ou picturale dans laquelle j’aime à me retrouver… 3 min max… Pas inspiré et comme j’avais lu, faute de temps, le mail en diagonale, je me disais : j’en sais rien moi ce qu’il aime ou pas Melville, je connais un peu ses films mais pas plus. Je me retrouve au téléphone avec une copine à qui je parle de ce casting, je lui relis le mail et elle me dis, prends un truc que tu aimes bien et tu en parles pendant 3 minutes. Tilt ! Faut que je parle de moi… Je choisis un de mes albums préférés « Dark Side of the Moon » de Pink Floyd, comme je n’ai rien de particulier pour les jours à venir dans mon agenda, je décide de me raser à blanc, histoire de coller quand même au personnage. Du coup c’est un mélange de Bruno Dreyfürst (rasé et en costume) et de Jean-Pierre Melville qui se retrouve devant la caméra. Une prise toute pourrie puis une deuxième correcte. Je me dis je ne vais pas en faire plus pour cet exercice singulier. J’envoie en disant « je ne sais pas si c’est ce qu’il fallait faire mais j’ai fait ça… », on me répond « ce sera super ». Bon. Attente. Comme toujours pour les casting. Et puis quelques temps plus tard l’agence me rappelle pour me dire que le directeur de casting (Stéphane Batu) veut me voir à Paris. Je reçoit une vidéo d’une interview de Melville (avec le texte) à reproduire pour le casting. Nouvel exercice interessant mais singulier, je travaille le texte, regarde de nombreuses fois la vidéo pour trouver le rythme, la voix, les inflexions… bref pour essayer de rentrer dans le personnage. Puis je cherche un costume pour le casting, je passe des coups de fils pour trouver lunettes et chapeau, caractéristiques de Melville.
Tram, train, Paris. Je passe le casting pour Melville, qui à priori se passe pas trop mal et Stéphane Batu, le directeur de casting, me dit : « plus je te regarde, plus je me dis qu’il y a un truc à faire pour le producteur du film, Georges de Beauregard. Ca te dit de faire un essai en plus pour ce personnage. ». Ben oui pourquoi pas, mon train est dans plus de 2 heures, j’ai de la marge. « Bon, t’as du coup pas eu la scène, mais on va le faire en Impro, la situation est la suivante : Godard se fait porter pâle un jour où il est censé tourner, ce qui rend Beauregard, le producteur, furieux. Il le retrouve dans le café où il pensait bien le trouver pour lui dire ses quatre vérité. La première réplique c’est « Ah voilà le grand malade… ». S’en suivent deux Impro sous la direction de Stéphane qui filme et donne la réplique en Impro lui aussi. Puis retour à Strasbourg et attente, encore et toujours. Content du casting et de la manière dont il s’est passé, je me dis que c’est déjà ça. Et puis on me rappelle quelques jours plus tard pour me dire que cette fois c’est Richard Linklater himself, qui veut me voir pour Beauregard, à Paris la semaine d’après. Wouah, ok, je reçois le texte de la scène que j’avais fait en Impro, je le bosse, je fais des recherches sur Beauregard, pas énormément d’infos et des vidéos à se mettre sous la dent, recherche d’un costume, de lunettes (pas les mêmes que pour Melville, tram, train, hôtel (sur les conseils de ma femme) pour arriver frais et dispo, Paris. J’arrive au casting en avance (en bon allemand), j’attends quelques minutes pour ne pas l’être trop (en bon français) et je me présente dans les bureaux de la prod ARP. Je suis très gentiment accueilli par une dame, qui s’est révélée être la productrice, le directeur de casting et je tombe nez à nez avec Godard… en l’occurence Guillaume Marbeck, déjà sélectionné pour le rôle, en costume et lunettes noires godardiennes. Là, je me dis p…ain ils ne se sont pas planté, vache c’est carrément Godard. Stéphane Batu me dit que Rick allait arriver, que je ne devais pas me formaliser que pendant les essais il ne parlait pas beaucoup. A son arrivée je le salue, échange quelques mots en anglais et c’est parti pour le casting. Je suis étonnamment détendu, dans mon élément et c’est dû en grande partie à la bienveillance du « dir cast », de Rick et d’avoir un partenaire de jeu déjà totalement investi dans son rôle. Une prise, quelques indications, deux prises et puis voilà. Merci et aurevoir tout le monde, j’étais déjà ravi d’être là, de passer ce casting devant Mister Linklater, qui me lance au moment de mon départ « Bye bye Beau-Beau », un signe? Je ne relève pas, puis métro, train, Strasbourg. Et puis plus d’un mois plus tard, au moment où je n’y croyais plus, où je remplissait mon agenda de rendez-vous… un appel, vous êtes retenus pour le rôle de Beauregard. « Ah super merci, formidable. » Je raccroche et Yeeeeeeeaaaaaaahh !!!
Comment t’es-tu préparé pour incarner ton personnage ?
Le rôle je l’ai préparé comme pour le casting, en recherchant un maximum d’éléments sur Beauregard. C’est toujours intéressant et inhabituel de jouer un personnage ayant existé. Dans mon cas ce n’était pas le plus facile, par rapport à ceux qui devaient incarner Truffaut, Chabrol, Belmondo, Godard… il n’y avait que peu de documents sur Beauregard. Heureusement un ami m’a dégoté l’unique et quasi introuvable biographie faite par sa fille. Lecture passionnante et découverte d’un personnage bien plus complexe et truculent que je ne me l’étais imaginé. Un personnage passionné de cinéma, atypique, toujours à la recherche de nouveautés (il a propulsé bon nombre de la Nouvelle Vague alors qu’il aurait pu se reposer sur le succès d’A bout de souffle, dont Agnès Varda), un poil roublard, vieille école diront certains, qui pouvait monter dans les tours, s’énerver au plus haut point et le lendemain arriver avec une caisse de champagne en guise de calumet de la paix. Un homme entier, qui aimait prendre des risques mais surtout loyal et fidèle en amitié avec entre autres un certains Jean-Luc Godard. Tous les témoignages du monde du cinéma au moment de ses obsèques témoignent de la figure emblématique qu’à été le producteur Georges « Beau-Beau » de Beauregard. Il y avait au fur et à mesure de mes lectures de plus en plus de points où je me retrouvais dans « Beau-Beau ». Puis sont arrivé les scripts. Lecture, apprentissage… Une chance qu’on a eu avec ce film, et qui n’est que très rarement le cas, c’est de pouvoir répéter avec Rick, les comédiens et une bonne partie de l’équipe technique, d’abord à table où on a parfois apporté quelques petites modifications au texte, puis dans les lieux où on allait tourner. C’est surement ça aussi qui a permis de créer une bande de copains avant même le début du tournage. Mais aussi de défricher les scènes, les actions et de ne pas avoir à découvrir le jour même, en plein milieu de la fourmilière qu’est un tournage, les décors, ses partenaires et les enjeux. Plus tout ce processus avançait plus tout devenait concret. Sont arrivés les essayages costumes qui, particulièrement pour un film d’époque, permettent de se glisser dans la peau du personnage. Un passage par la coiffure qui me donnera la joie pour la première fois de ma vie d’être rasé de près et avec une calvitie. Coiffure qui ne me quittera pas pendant trois mois. Mais c’est pour l’art, le cinéma et enfin je peux être « Beau-Beau ».
Comment s’est déroulé le tournage ?
Avec tout ce qui avait été fait en amont en préparation avec l’équipe, le fait de ne pas arriver en terrain inconnu, d’avoir comme partenaires des comédiens totalement investis dans leur rôle et le tout sous la direction de Richard Linklater tout ne pouvait que bien se passer. Enfin ça c’est ce qu’on se dit, mais ce n’empêche pas ce mélange d’envie que ça commence et de trac. Et pourtant tout s’est tellement bien passé. Richard est tout aussi précis, exigeant, conscient de ce qu’il veut tout en étant dans la recherche perpétuelle mais toujours avec une immense bienveillance et gentillesse. Du début à la fin. Jamais un mot au dessus de l’autre. Même quand il y a eu du retard, des soucis techniques, des changements, bref tous les aléas inhérents à n’importe quel tournage, rien ne changeait. En plus les dieux du cinéma ont été avec Richard Linklater tout du long, qui pour un tournage à peine plus long que pour Godard à l’époque et la plupart du temps en extérieur a réussi à toujours passer entre les gouttes. Pourtant la météo était capricieuse, mais jamais assez pour devoir repousser le tournage. Une averse un orage du ventilais jamais assez ou assez longtemps pour empêcher de tourner, toujours.
Et puis c’était vraiment bien ce tournage de bande, à l’image de ce qu’on voit dans le film. Rick a pris le pari, à part pour Zoey Deutch, de ne faire confiance qu’à des comédiens certes aguerris, mais quasiment tous inconnus du grand public. Pari osé mais réussi vu le casting que je trouve juste merveilleux.
Richard Linklater ne parle pas français. Comment avez-vous réussi à communiquer sur le plateau ?
Comme le disait Rick dans une interview, c’était la première fois qu’il dirigeait des comédiens qui jouaient quasi exclusivement en français, à l’exception de quelques séquences entre Jean Seberg (Zoey Deutch) et François Moreuil (Paolo Luka-Noé) qui étaient en anglais. Mais ce n’était pas un problème pour lui. Il s’attardait sur autre chose, le jeu, l’image… Pour le texte à proprement parler il avait le script dans les deux langues. Pour le reste il était entouré d’une équipe française qui relayait les informations, étaient garants du texte en français, particulièrement en les personnes de Michèle Halberstadt (qui a signé l’adaptation), du 1er assistant (Hubert Engammare) et de la scripte (Camille Arpajou). Personnellement, je suis à l’aise en anglais. Pour les autres comédiens chacun se débrouillait avec son anglais et si vraiment ça coinçait on demandait de l’aide aux copains, ça n’a jamais été un problème, on se comprenait parce qu’on parlait de la même chose.
Qu’as-tu pensé du résultat final du film ?
Déjà je suis très fier d’avoir la chance d’être de cette incroyable aventure. C’était très émouvant de voir le résultat de tout ce travail à l’écran. L’image en noir et blanc, que l’on doit au formidable chef opérateur David Chambille, le 4:3, la musique, le phrasé tout nous ramène en 1959. C’est un voyage dans le temps, un hommage vibrant mais pas dénué d’humour à la Nouvelle Vague. Richard Linklater est grand spécialistes des « Hang out movies » et ici on passe 1h45 en compagnie de cette joyeuse bande de la Nouvelle Vague, dans la création un peu baroque et foutraque de ce qui deviendra un incontournable de l’histoire du cinéma. C’est évidemment compliqué d’être totalement objectif, mais je suis certain que Rick a réussi son pari d’un film hommage de la part cinéphile passionné, feel good (et ça fait du bien) léger et drôle, extraordinairement documenté mais pas uniquement réservé aux initiés, qui donne envie de voir ou revoir « A bout de souffle » et qui sait peut-être de faire des films.
Quel souvenir gardes-tu de ton expérience à Cannes ?
Ca dépend quel « Cannes »? Le premier Cannes était celui du tout dernier jour de tournage, au bout de la Croisette, dans ce lieu mythique pour la séquence ou Beauregard décide de produire le premier long métrage de Godard qui deviendra le cultissime « A bout de souffle ». Comme un symbole on finit le film sur l’histoire du film avec la séquence où on décide de faire le film. Et encore une fois Richard a pu filmer sous un soleil radieux alors que la veille nous avions été accueilli par un énorme orage de grêle.
Et puis un peu plus d’un après il y a Cannes, mais ce coup là pour le Festival…
Nouvelle Vague, de Richard Linklater avec entre autres Bruno Dreyfürst, acteur franco-allemand originaire de Lauterbourg en Alsace en compétition officielle pour le 78ème Festival de Cannes ! Je crois que je ne réalise toujours pas. Et pourtant le 17 mai c’était la montée des marches pour la première projection Mondiale, avec Quentin Tarantino en point de mire sur le tapis rouge. Le film qui est vu dans la salle par une autre légende du cinéma Claude Lelouch, et puis plein de monde et tout le reste le tapis rouge, les marches, le Palais des festivals, les photographes, un tourbillon de paillettes, la démesure cannoise, une folie douce… et puis au milieu de tout çà il y a nous, l’équipe de Nouvelle Vague qui vivons un rêve de gosse.
Y a-t-il un moment sur le tournage qui t’a particulièrement marqué ?
Il y en a tellement. Le premier, et c’est tout bête, c’était le premier jour de tournage. Tournage de nuit dans un cinéma, toute l’équipe concentrée, un paquet de figurants dans un espace as très grand des techniciens partout etc. Arrive ma première scène où Beauregard rejoint à table sur la terrasse Godard, Truffaut, Chabrol. Un assistant me positionne : « tu partiras de là, on te donnera le top ». La scène commence et le top en question est venu de Rick lui même qui derrière le combo (l’écran de contrôle ) a lancé d’un ton enjoué un « and Action Beau-Beau! » ! Et c’était parti ! C’est un petit détail, mais juste par la façon dont il me lançait dans le bain avec plaisir m’a tout de suite mis en confiance.
Sinon, tourner au pied de l’Arc de triomphe, en plein Paris avec les gens qui passent régulièrement (il n’y avait pas beaucoup de possibilité de bloquer entièrement les lieux de tournage, finalement en plein dans l’esprit d’A bout de souffle.
Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté en tant qu’acteur ?
Tout le travail qu’on a pu faire chacun autour de la recherche de son personnage, le phrasé pour un film d’époque, où il est plus dur de placer des moments d’impros, où notre façon de parler moderne, nos interjections feraient tâches, être à la fois fidèle aux situations et en même temps s’en détacher, c’est tout ça qui était passionnant en tant qu’acteur.
A titre personnel il y a aussi la rencontre avec toute cette belle et talentueuse d’acteurs et actrices.
Et évidemment de travailler sous la direction de Richard Linklater était juste incroyable.
A la fin de la projection, l’accueil du public de Cannes a été vraiment super et jusqu’à maintenant les critiques sont plutôt bien. C’est surtout ça le plus important: quand on trouve que tu as bien fait ton travail. Pour une bande d’acteurs qui gagnent à être connus c’est déjà formidable d’être reconnu.